Jean Ladrière (1921-2007)

Jean Ladrière naquit à Nivelles (Belgique) en 1921. Au cours de ses études de philosophie à l'Université de Louvain, il s'intéressa particulièrement à la logique formelle (cours du prof. Dopp) et à la philosophie sociale (cours du chanoine Jacques Leclercq).

 Son intérêt pour la logique formelle l'amena à faire des études complémentaires en mathématiques pures. Il consacra sa thèse de doctorat en philosophie (présentée en 1949) à l'étude des "implications du théorème de Gödel pour la théorie de la démonstration". Il rédigea encore un mémoire de licence en mathématiques sur les fonctions récursives (1951) et une thèse d'agrégation (1957) sur "Les limitations internes des formalismes" où, à partir des problèmes posés par le théorème de Gödel et des théorèmes apparentés, il montrait que le langage mathématique ne pouvait pas, ultimement, se passer du langage naturel. C'était donc le thème, très kantien, des limites de la rationalité qui était repris mais dans une perspective nouvelle, comme une exigence interne d'ouverture (et donc non interprété comme une limite) à d'autres champs de sens.

   Dès 1958, il fut chargé d'enseigner la philosophie des sciences et des mathématiques à l'Institut Supérieur de Philosophie de Louvain et, par un regroupement bien réfléchi de cours,  fit de la philosophie des sciences une section à part entière. A l'occasion de son enseignement, très suivi, il ne cessa de développer les problèmes d'épistémologie des sciences et fut un des premiers à introduire les épistémologues anglo-saxons et du Cercle de Vienne (dont, particulièrement, Wittgenstein) dans le monde philosophique francophone et d'en dégager les enjeux (grâce à sa maîtrise des langues, sa très large érudition et son magistral esprit de synthèse). De là, il s'intéressa aussi aux problèmes plus généraux de philosophie du langage, ce qui lui permettait de rejoindre son intuition première d'ouverture souhaitable ou même nécessaire entre les différents "champs de sens" ou langages, dont le langage théologique. Ce dernier et, plus largement, la confrontation entre la raison et la foi tint une place importante dans la réflexion de l'auteur. Il rédigea de très nombreux articles sur tous ces sujets (partiellement rassemblés dans trois volumes sous le titre: Articulation du sens, 1970,1984, 2004) et un livre: La science, le monde et la foi (Casterman, Tournai, 1972).    Son intérêt pour les sujets de société ne fut pas en reste. Au niveau académique, il reprit le cours de philosophie sociale du chanoine Leclercq pendant de nombreuses années. Il fut co-fondateur d'un Centre de recherche et d'information socio-politique (le CRISP, qui fait toujours référence comme Centre d'analyse indépendant et pertinent sur l'actualité socio-politique belge). En 1973, il publia: Vie sociale et destinée (Duculot, Gembloux), reprenant des thèmes-clés de ses cours. Dans les années '70, l'Unesco lui demanda de rédiger un rapport sur le défi de la science et de la technique par rapport aux cultures. Ce rapport fut publié sous le titre: Les enjeux de la rationalité (Aubier-Montaigne, Paris, 1977). Dans les années '80, il soutint la création et participa activement à l'activité d'un Centre d'études bioéthiques attaché à la faculté de médecine de l'Université de Louvain. En 1999 paraissait encore un volume: L'éthique dans l'univers de la rationalité (Fides, Montréal, 1999), rassemblant diverses contributions et formant une véritable introduction philosophique à l'éthique appliquée.    Il fit toute sa carrière à l'Université de Louvain (où il dirigea une centaine de thèses de doctorat !). Tous ses étudiants se souviendront de sa manière magique de mettre en valeur leurs (parfois maigres) connaissances. Il fut professeur invité dans de très nombreuses universités étrangères (en France, Portugal, Pologne, Congo, Chili, Brésil, Japon, Etats-Unis). Il participa à de multiples colloques et congrès. Toutes les personnes qui l'ont rencontré ont pu apprécier son extrême modestie et sa délicatesse infinie. Il reçut le titre de docteur honoris causa d'une dizaine d'universités. Il fut membre (et exerça des présidences) de nombreuses associations internationales de philosophie (dont l'AIPS et l'AISR).